Jurassic World Evolution – Decevantosaurus et Plutopamalizar sont sur un bateau…

Le vrai génie d’une bonne partie des films ou des jeux qui nous ont marqués, c’est l’ambiance. On pourrait tous, ici, citer un film « à ambiance » : Sin City, Le Parrain, Matrix, Blade Runner… Jurassic Park. Mais arriver à l’émerveillement des premières minutes du film de Spielberg est un défi à la hauteur des ambitions de nos camarades de Frontier (les types à l’origine de Planet Coaster ou Elite Dangerous). Quand l’annonce du jeu a été faite, un quart de siècle après la sortie du premier film, mais quelques temps seulement après le reboot filmesque, il y avait fort à parier qu’il ne soit qu’un outil de support marketing de plus pour nos amis du grand écran. Mais, en fait, non. Croyez-le ou pas, ce jeu existe pour autre chose qu’être un support marketing. De là à dire qu’il est aussi mémorable que l’intro de John Williams…

Jurassic World Evolution : Dinostory

Un jeu s’était déjà essayé à la création d’un parc empli de créatures féroces sorties tout droit d’un autre âge (cette description ressemble furieusement à celle de votre belle-mère, vous ne trouvez pas ?) : Jurassic Park Operation Genesis. Remarqué par quelques fans et malgré de belles qualités, il n’avait pas les reins assez solides pour devenir une réelle référence dans le monde feutré du tycoon game. Pourtant, ceux qui s’y sont essayés ne devraient pas être trop dépaysés par son fils : Jurassic World Evolution.

Vous reprenez très classiquement le rôle du manager tout puissant d’un ensemble d’îles perdues au milieu de l’océan, un jardin merveilleux, un spectacle permanent. Comme dans les tableaux du douanier rouuuuuss… (pardon).
Vous devrez bâtir à partir de pas grand-chose un parc fonctionnel rempli de bébêtes. Le joueur a accès à 6 îles qu’il débloquera au fur et à mesure de l’aventure et qui ont le bon goût d’apporter un challenge différent selon les îles. Si la première fait office de tutoriel, il faudra bientôt concilier avec la météo ou l’étroitesse de l’île par exemple.

Qui est le dino de la farce ?

Assez classiquement, le jeu propose d’enfermer vos bébés dans des enclos pour attirer toujours plus de visiteurs et gagner plus d’argent (ça ne fonctionnerait pas comme ça avec ma belle-mère, notez…). Mais pour développer votre parc, vous devrez rapidement incuber de nouvelles créatures. Pour cela, vous aurez à réaliser des fouilles tout autour du globe pour découvrir de nouveaux fragments d’ADN. En les accumulant, vous augmenterez la viabilité de vos petites bêtes. Bien entendu, il s’agira également de permettre aux touristes d’admirer vos dinosaures tout nouvellement relâchés dans leurs enclos. Mais être à l’écoute de vos clients, c’est également leur mettre à disposition tout ce dont ils ont besoin : nourriture, boisson, t-shirt hors de prix, hôtels…
Mais attention, ne vous attendez pas à un jeu de gestion. Gagner de l’argent dans ce jeu ne sera pas un problème, les touristes consomment sans regarder à la dépense. C’est d’ailleurs un élément qui aura tendance à le rendre un peu trop facile. Qui, dans la vraie vie, est prêt à payer son fast-food 20€ parce qu’il est situé dans un parc à thème et que la dernière veut une glace avec son big m… hein ? Non, mais vraiment c’est ridicu… oh, wait !

Le prix du ticket d’entrée est donc assez élevé (mais non paramétrable) et le prix a très peu d’incidence sur la demande. Il est en sus impossible de savoir ce que pensent les visiteurs. Ajoutez à cela le fait que le jeu ne propose aucun élément de décoration… L’aspect gestion semble avoir été expédié assez rapidement. Dans JWE, votre principal outil pour attirer des visiteurs sera la variété de vos bestioles : plus vous en aurez et plus ils seront différents les uns des autres et plus les visiteurs afflueront. Votre progression dans le jeu vous permettra de débloquer de nouvelles créatures et de nouveaux bâtiments qui vous permettront donc de générer de plus en plus d’argent. Avancer se fera également via le contentement de trois « branches » : scientifique, divertissement et sécurité. Ces dernières donnent au joueur des missions qu’il vous faudra remplir pour gagner quelques dollars supplémentaires ou pour débloquer de nouveaux bâtiments.

Joliplasticosaure

Bien que l’aspect gestion ne brille pas particulièrement, on retiendra en revanche ce qui constitue le point fort du jeu : son ambiance. Les voix off ont le bon goût d’être en français et de reprendre les mêmes doubleurs que dans les films. Les musiques sont les musiques originales de John Williams, merci mon dieu. Enfin, le jeu est beau, très beau. En réalité il semble que le budget de la prod soit parti quasiment en entier dans les dinosaures. Variés, nombreux, magnifiquement animés et modifiables (nous y reviendrons), ils sont tout bonnement spectaculaires. C’est sans aucun doute les plus beaux dinosaures que j’ai vu dans un jeu vidéo.

D’autres qualités sautent rapidement aux yeux lorsque l’on prend en main JWE : le fun est globalement au rendez-vous (au début). Les missions que vous confieront les différentes branches sont assez variées, bien qu’elles finissent pas se répéter à la longue. Cela dit, on s’étonnera toujours du WTF de certaines d’entre elles. Vous devrez par exemple libérer de temps à autre des carnivores dans votre parc pour… dévorer les visiteurs. De la part de la division divertissement, c’est déjà complètement dingue, mais ça l’est d’autant plus quand c’est la division sécurité qui le demande pour « tester ses protocoles de sécurités »…

Autre ajout intéressant, la première personne. Vous pourrez si le cœur vous en dit, prendre le contrôle direct des gardiens du parc pour administrer vous-même tranquillisants et autres médicaments. Plutôt sympathique de premiers abords, la maniabilité particulièrement pataude et un feeling digne d’une partie de bowling avec papi arthrose vous feront rapidement passer votre chemin.

La vraie force des premières heures de jeu du soft réside dans sa capacité à nous faire progresser : les fouilles débloqueront de l’ADN, les recherches et les missions de nouveaux bâtiments et c’est un plaisir de voir grossir ses enclos. On se plaît à choisir les espèces qui cohabiteront en fonction de leurs critères de confort par exemple. En effet, pour que les dinosaures se tiennent tranquilles vous devez accéder à leurs besoins vitaux : manger, dormir par exemple. Vous devrez aussi veiller à la  surface de foret ou de prairie dans l’enclos ou au nombre d’autres dinosaures et de congénères avec lesquels interagir. Si certaines espèces sont des solitaires, d’autres ne peuvent pas vivre autrement qu’en groupe. Or gérer tous ces impératifs quand on a 20 espèces différentes et une place limitée est un défi intéressant et qui vous prendra beaucoup de temps.

De plus, chaque créature peut être modifiée génétiquement. Cette modification changera son aspect, son agressivité ou sa durée de vie par exemple. Et ces modifications amélioreront le « score » de chaque créature. Plus il est élevé, plus les visiteurs afflueront. C’est une mécanique intéressante qui malgré toutes les modifications annoncées reste relativement anecdotique, car à l’exception de quelques skins, le changement n’a rien de visible. Ajouter de l’agressivité à un dinosaure n’aura aucune incidence sur celle-ci… du moment que votre dinosaure est confortable, il restera sage. Sauf si un révolutionnaire communiste passe par là et décide d’ouvrir les portes, mais c’est une autre histoire…

Viva la dinolution !

Il y a des défauts qui peuvent vous gâcher la vie. Dans un jeu, c’est pareil. Certaines mécaniques, aussi intéressantes soient-elles, peuvent rapidement devenir un enfer si elles ne sont pas correctement équilibrées. Dans Jurassic World Evolution, c’est le sabotage qui remplit le rôle. L’idée de départ n’est pas idiote : réaliser des missions pour une branche en ignorant complètement une autre rendra furieux le personnel de celle qui est délaissée. La mécanique promet d’obliger le joueur à progresser de manière équilibrée. Malheureusement, la susceptibilité exacerbée réalise l’exploit de plonger le joueur non pas dans un jeu de gestion de dino mais dans Convergence des Luttes Simulator 2018. Pour un oui ou pour un non, votre production électrique sera sabotée ou, plus grave vos portes d’enclos. Si l’affaire se résout assez bien avec un petit parc (on envoie l’hélicoptère et on tranquillise le carnivore qui pose un problème) cela devient vite infernal avec un grand parc, quand 15 carnivores fous furieux massacrent les pauvres touristes fuyant dans la confusion la plus totale vers les abris d’urgences ouverts pour l’occasion. Soucis, vous n’avez qu’un seul hélicoptère susceptible d’intervenir pour tranquilliser les dinosaures. Vos gardes à jeep, bien que compétents pour les médicaments, ne peuvent pas abattre ou sédater les dinos. Résultats, vous courrez dans tous les sens avec votre seul hélicoptère en priant pour que les carnivores ne se tuent pas entre eux ou pire, entrent dans un enclos d’herbivores et le déciment. Vous en viendrez donc rapidement à… ne pas mettre de porte et la rajouter à chaque fois que vous devez intervenir dans un enclos. Irréaliste (pour ce qu’un jeu Jurassic Parc mérite de l’être, vous me direz), stupide et coûteux.

En parlant des coûts. Notez que les prix du jeu n’ont aucun sens : la chèvre vaut 70 000$, mais la recherche génétique 100 000. Un hôtel 400 000, mais une belle clôture sur une surface assez vaste tout autant. L’incubation d’un T-Rex modifié ? 7 millions. C’est-à-dire plusieurs grandes centrales électriques… La logique de tout cela m’échappe clairement. Et c’est d’ailleurs une source de frustrations au début du jeu, car les postes de dépenses les plus importants (les mangeoires par exemple) apparaissent gigantesques au regard de ce qu’ils devraient coûter. Ainsi, des fouilles en règle avec spécialistes et hélicoptère à l’autre bout du monde vous feront dépenser le même prix que le réapprovisionnement d’une mangeoire à petits herbivores. C’est que ça coûte cher les légumes bio ma brave dame !

Autre aspect décevant, Jurassic World Evolution n’est pas vraiment un tycoon game. Si quelques prix sont paramétrables, il n’y a pas exemple aucun élément de décoration. Vous ne pourrez pas non plus choisir le prix des entrées. Il n’est pas non plus question de campagne de publicité, de réductions ou autres éléments marketing. Vous pourrez bien changer le skin de vos jeeps de gardes ou d’hélico, mais cela n’a aucun impact sur les touristes (ce qui est normal). C’est bien dommage parce que le jeu possède tous les éléments techniques pour être intéressant. On ragera simplement sur l’outil de placement de bâtiment qui décidera pour un oui ou pour un non que la petite bosse du fond du terrain empêche la construction de ce fast-food…

Autre détail rageant, les clôtures. En réalité vous n’aurez jamais besoin de clôture de qualité, car qu’elles soient électrifiées, renforcées ou que ce soit de simple fils de fer… elles sont toutes aussi fragiles. Ou presque. Et de toute façon, vous ne serez prévenus qu’à la rupture d’une d’entre elles. Vous serez donc systématiquement mis au pied du mur si un dinosaure tentait de s’échapper. Bon, en même temps, une chance pour vous, si vous gérez le confort de vos jolis reptiles, cela n’arrivera jamais… même les raptors modifiés génétiquement seront bien sages s’ils ont à manger et des copains avec lesquels jouer. Dommage. Les mécaniques de la modification génétique n’ont pas été exploitées à 100%.

Extinction ?

Jurassic World Evolution est intéressant. Hyper addictif au départ, vos 15 à 20 premières heures seront une promenade émerveillée au milieu de dinosaures magnifiques. Et puis, les défauts commenceront à prendre de la place : vous vous sentirez à l’étroit sur les îles proposées par le jeu. Vous vous agacerez des imperfections dans le gameplay et la redondance des objectifs. Doté d’une base technique pourtant solide, le jeu manque clairement de quelques mois de développement, d’une ouverture au workshop, d’un véritable ADN de tycoon game, d’un générateur de carte aléatoire paramétrable et d’un équilibrage concernant certaines mécaniques de gameplay. Sa bonne bouille lui pardonne ses erreurs de jeunesse, mais prions pour que Frontier rectifie rapidement un tir vendu à un prix bien trop élevé pour le moment (une grosse cinquantaine d’euros) et que tout cela accouche finalement d’un jeu aussi attachant que votre belle-mère.